Le Doubs est en crue depuis la nuit dernière. Dans le Jura, quand il pleut, il pleut et les deux jours précédents, les vallées se sont gorgées d’eau. Le niveau de la rivière est monté de plus d’un mètre et le volume charrié a quintuplé en 24 heures, il a gonflé de 70m3/sec à plus de 350 m3/sec.
Ce matin à Baume-les-Dames, nous décidons de lâcher les amarres, réflexion faite, l’endroit n’est pas particulièrement captivant et le Doubs en crue ne peut pas être plus méchant que l’Elbe.
Par acquis de conscience, avant de lâcher les amarres, je bavarde avec un technicien qui lave sa voiture dans la cour des bâtiments administratifs du VNF situés à l’arrière du terrain des campings-car. « Vous pouvez y aller » me dit-il, « à vos propres risques, mais faites attention, la rivière charrie beaucoup de débris ».
Nous y allons et passé la première écluse le canal fait place au lit de la rivière. Elle paraît plus large que lorsque nous sommes montés vers Montbéliard mais les prairies ne sont pas inondées. À l’aval des barrages le bouillonnement est violent mais quelques centaines de mètres plus loin, la surface de l’eau donne une fausse impression paisible. Elle est de couleur chocolat au lait et nous naviguons à travers une succession de tourbillons ce qui m’oblige à corriger en permanence la trajectoire du bateau. Les rives défilent à toute allure, je mets le moteur à 1500 rpm, ce qui propulse le Chat Lune à 10,5 km/h. Le GPS du Navionics de mon iPad indique que sur le sol nous avançons à 16,5 km/h, le courant est de 6 km/h. Pour les terriens habitués aux voitures cela semble ridiculement lent, mes amis navigateurs fluviaux seront impressionnés.
Sur ce tronçon du Doubs, il y a une écluse tous les 2,5 km et à leur approche il faut être vigilant pour éviter d’être entraînés vers le barrage.
Pour des raisons de sécurité, la programmation du remplissage est tel que les bassins sont toujours remplis. Cela évite aux bateaux avalants de devoir s’amarrer aux pontons d’attente ou le long des quais qui balisent les entrées des écluses.
Nous pénétrons dans l’écluse de Laissey, la porte montante côté rivière est coincée par des débris de branches et d’algues et ne se ferme pas complètement. Marleen actionne la tige de commande bleue de fermeture, la loupiote d’alarme se met à clignoter.
Appelé par la borne de secours, le technicien du VNF nous signale que la circulation sur la rivière est à l’arrêt et que nous devons rester amarrés au quai devant l’écluse, le temps d’attendre la décrue. Je négocie et il accepte de nous laisser aller jusque Deluz.
Une demi heure et deux écluses plus tard, nous amarrons le bateau cul à quai le long d’un épis flottant dont la légèreté ne m’inspire pas confiance. Pas question de marcher dessus, il faut fixer une amarre au taquet situé à son extrémité de manière à ce que le bateau retienne le flotteur et que celui-ci supporte mon poids. La photo ci-avant est plus explicite que ma description.
Nous faisons la connaissance du sympathique capitaine, qui accompagné de son berger allemand, gère le troisième port de plaisance de Besançon. Je paye les frais de séjour pour une semaine, ce qui nous permet de rester ici le temps nécessaire à la rivière de redevenir navigable en sécurité et par la suite d’aller nous amarrer au port du Moulin St.Paul de la ville de Besançon.
À midi on se rend au restaurant, bar, tabac, relais de poste, dépôt de pain du village. Malgré une population de plus de six cents habitants, l’épicerie et la boulangerie ont fermé leurs portes, le seul commerce ouvert est le Café des Sport, Restaurant ‘La Pergola’.
Depuis un an, un jeune couple gère l’endroit, le mari est au fourneau et la jeune femme, blonde, mignonne et sympathique fait le service. Le plat du jour est excellent, des tranches d’aubergines grillées avec de la coppa comme entrée, des raviolis aux cèpes comme plat principal et une légère compote de rhubarbe comme dessert, café compris pour 11€. Les clients sont des habitués, à les entendre discuter ils doivent travailler aux ouvrages d’art de la rivière.
Aucun des habitants des riantes villas qui entourent le village en hauteur sur les collines avoisinantes n’y est présent.
La tenancière nous confie qu’elle pense que cette clientèle s’approvisionne dans les chaînes et ne mange que dans des restaurants étoilés, cette dernière remarque est de moi.
Vous qui me lisez, si un jour vous passez par Deluz, aller manger le plat du jour à la Pergola, vous ne serez pas déçus, le rapport prix/qualité est imbattable et l’accueil chaleureux.
Jeudi matin la rivière est toujours en crue et la navigation interdite. À la ‘Pergola’ j’achète une baguette et un pain au chocolat et ensuite nous partons en promenade vers la chapelle Montoille, située en hauteur sur le flanc nord de la vallée du Doubs.
À l’orée du village, dans un verger de mirabelliers, un jeune brocard et une chevrette broutent les fruits et ils nous laissent le temps de bien les observer. Lorsqu’ils se sont encourus, Marleen sort un sac en plastique de sa poche avec l’idée de continuer la récolte mais il s’avère que les fruits ne sont pas encore mûrs, les chevreuils vont avoir des crampes d’estomac.
Nous restons deux jours à Deluz, l’endroit nous plaît mais demain, le vendredi le 25 juillet, la rivière sera à nouveau ouverte à la navigation et nous poursuivrons notre voyage vers Besançon.
Photos Marleen
Texte Guy