Tatoué et percé comme un guerrier Maori, l’éclusier des écluses de Chavance nous raconte sa vie. « J’ai 57 ans, j’étais au chômage depuis quelques années après avoir fermé mon commerce en province. J’avais ouvert une quincaillerie et pendant sept ans j’ai essayé de survivre. Mais les habitants du coin comptaient leurs sous, et lorsqu’ils avaient besoin de 3 vis, il m’achetaient 3 vis.»
« Mon conseiller m’a convaincu d’accepter ce travail-ci. Je l’aime bien, j’ai compris le fonctionnement des écluses et j’aime le contact humain que ce boulot engendre. »
Nous sommes montants, on franchit d’abord Chavance 7 et 8 et 250 m plus haut, Chanvance 4,5 et 6. En quittant notre Maori, je lui fait remarquer qu’il est l’homme des 5 écluses. Il se fend d’un grand sourire, « On peut dire ça » opine-t-il en nous souhaitant un bon voyage.
Selon certains, le Nivernais est le plus beau canal de France. C’est probablement un des plus beaux, mais n’oublions pas que d’autres canaux et rivières ont également leur charme. Nous venons de remonter le Loing. Sur ses biefs bordés de verdure, nous avons apprécié les longues heures de calme et de solitude que la navigation nous apporte.
Le 21 juin, le New York Times a publié un article intitulé ´The land where the Internet ends’. La ville de Green Banks en Virginie est au centre d’une ‘National Radio Quiet Zone’ de 34.000 km2, soit une surface plus étendue que la Belgique. L’interdiction existe pour protéger des radiations terrestres, les télescopes radio qui scrutent l’univers. Ils sont tellement sensible qu’un SmartPhone ou un four à micro onde perturberait leur réception. Pour ceux que cela intéresse, l’article est écrit par Pagan Kennedy, les photos en noir et blanc, sont de Damon Winter.
Les canaux que nous parcourons nous mènent régulièrement dans des régions où la réception radio et téléphonique est faible ou inexistante. Par conséquent notre accès à Internet l’est également. On se passe facilement des nouvelles du jour, les mails peuvent attendre et Marleen utilise l’accès à internet essentiellement pour jouer quelques parties de Scrabble avec ma sœur et quelques autres amies éparpillées en Europe. Le jeu accepte une interruption de 72 heures et au bout de trois jours, même en France profonde, on finit par trouver un signal. Personnellement, j’utilise Internet pour échanger des mails, pour consulter la météo et pour lancer mon billet hebdomadaire.
Je me souviens qu’à nos début de la navigation avec le Chat Lune, il y a de cela 15 ans, les stations émettrices Wifi étaient rares. À défaut d’en trouver une dans un port, il nous arrivait d’aller boire un café dans un MacDo pour bénéficier de ce service.
Nous ne sommes pas des fanatiques de la réception nulle, quand on a un accès digital, on l’utilise, lorsqu’il est inexistant, on s’en passe. Il faut prendre les choses tél qu’elles viennent.
Le 21 juin, à Mailly-la-Ville, la musique de la fête s’est résumée aux chants des oiseaux et au bruit blanc de la chute d’eau du barrage qui sépare l’Yonne du canal du Nivernais. On s’est couché à 22:00.
Une autre caractéristique notre mode de déplacement est que notre perception du temps et notre perception des distances change.
Il nous a fallu six jours pour aller de Decize à Auxerre où nous sommes amarrés au moment où j’écris ces lignes.
Le canal du Nivernais est long de 174 km et il comporte 104 écluses.
Nous avons connu des journées de 20 km et 31 écluses et des journées de 31 km et 17 écluses. Tous les matins on se pointait à 09:00 h aux portes de la première écluse après notre endroit d’amarrage. La journée se terminait généralement vers 17:00 h où 18:00 h, les éclusiers font une pause entre 12:00 h et 13:00 h, et nous aussi.
Et curieusement, le temps file. À 8 km/h, la vitesse recommandée sur le Nivernais, il nous faut une demi-heure pour parcourir un (long) bief de 4 km. Notre perception est que le temps est court entre les deux écluses de mon exemple. À peine de quoi se faire un café et Marleen doit préparer les amarres pour se mettre en place dans le bassin. Le temps file.
Plusieurs plaisanciers rencontrés ici nous ont fait la remarque que pour faire le Nivernais en six jours, ‘vous avez du bourrer’.
Pas vraiment, mais comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, cette année-ci on a décidé de naviguer et de laisser de côté, les musées, les églises et les abbayes.
Cette perception du temps est peut-être plus proche de notre nature humaine.
À 8 km/h, la vitesse d’une course à pied, on voit les arbres, les buissons et les fleurs.
On ne s’énerve pas lorsqu’un éclusier nous fait attendre une demi-heure heure, le temps de bassiner un bateau montant.
Les cyclotouristes nous dépassent allègrement.
Comme disait Denis Langlois, ´La vie est un long fleuve tranquille’.